Loue moi ton enfant pour mendier ....

Publié le par Khâli-an

Après les fausses ordonnances qui ne font plus recette, les mendiants découvrent un nouveau filon. Ils louent des enfants pour augmenter leur obole quotidienne. Enquête. 

DANS un café de la tour des Habous de Casablanca, un enfant d’environ 4 ou 5 ans, au visage rond et sale, entre. Habillé d’une chemise et d’un pantalon noué à la ceinture par un bout de tissu, des chaussures fendillées au pied, il tend la main au client. Une dame de 45 ans, tentant de dissimuler son visage derrière un foulard entre après le jeune enfant qu’elle suit à distance respectable. Le serveur intervient immédiatement pour la mettre dehors, alors que l’enfant continue tranquillement sa tournée. Après avoir amassé une obole de 7 ou 8 pièces de monnaie, il sort du café. La femme le rejoint de suite et, sans mot dire, l’enfant lui remet sa pitance. Des scènes semblables, les Casablancais en vivent tous les jours. Les enfants son devenus une arme redoutable pour ceux qui exercent la mendicité. Ils sont de plus en plus utilisés pour attirer la compassion d’honnêtes citoyens. De la naissance à l’âge de 10 ans, ils sont entraînés à mendigoter et sont utilisés comme argument de vente de la misère. Car, il s’agit d’un vrai commerce.

Mère-patronne...

De nouveau la femme envoie le jeune enfant vers des piétons sur le boulevard des Forces armées royales, à proximité des plus beaux hôtels de la ville comme le Royal Mansour ou le Sheraton. Au même moment, celle qui agit comme un vrai patron pour cet enfant ne veut pas rater un couple de touristes qui passe dans les environs. Dans un accent difficile à décrypter, elle prononce la seule phrase qu’elle comprend du français. Monsieur, un dirham, donnez-moi un dirham. Le touriste s’exécute, comme pour s’en débarrasser et lui tend une pièce. Alors que de son côté, l’enfant continue sa quête tout en s’éloignant de quelques mètres. C’est le moment idéal pour tenter de lui poser quelques questions. Comme on pouvait s’en douter, la femme qui l’accompagne n’est pas sa mère. Elle habite près de chez lui et chaque matin, elle passe le « prendre pour l’emmener en ville », car sa mère « doit aller au travail ». En fin de journée, « elle m’achète des biscuits », dit-il en prenant la pièce que nous lui tendons. Il ne fait aucun doute, cet enfant est victime d’un phénomène qui tend à se généraliser dans le monde de la mendicité. L’enfant est loué. Enfant à louer. On croyait entendre le titre d’un film de fiction. Malheureusement, la réalité dans ce cas dépasse la fiction.

L’éternel bébé d’un an

On est à Fendek Bachir, quartier pauvre de Casablanca. Ici, ce commerce est ce qu’il y a de plus anodin. Il est presque entré dans les mœurs de certains habitants du quartier. Des familles ont trouvé une voie simple pour gagner jusqu’à 1500 dirhams - c’est-à-dire un peu moins que le smig par mois - sans bouger le petit doit. Il s’agit de louer un enfant à 50 dirhams par jour. Fendek Bachir n’est pas le seul quartier où cet odieux commerce prospère. En effet, partout où la misère existe, la location d’enfants à des fins de mendicité devient commune. Derb Khalouti, un quartier de Derb Sultan, Sidi Moumen ou encore El haraouine, des zones, toutes aussi pauvres les unes que les autres sont touchées. Retour au centre ville de Casablanca. Dans le passage Soumica, donnant sur le boulevard Mohammed V, se trouvent de nombreux commerces allant de l’épicerie à la laiterie en passant par des boutiques de montres et de lunettes, d’habillement et même un salon de coiffure. L’endroit est très fréquenté par des piétons désirant aller du boulevard Mohammed V à la rue piétonnière Prince Moulay Abdallah. Ici, deux ou trois femmes ont établi leur fonds de commerce sur ces artères aux noms princiers. Selon Ahmed, qui tient un commerce dans l’enceinte du passage Soumica, "une des femmes tient dans ses bras, depuis cinq ans, un enfant d’une année environ". C’est comme si "l’enfant ne pouvait grandir", commente-t-il sur un ton ironique. En fait, il ne faut pas aller chercher bien loin, ces enfants ne peuvent être ceux de la femme qui a sans doute passé l’âge de procréer. Eux aussi ont dû être empruntés à un voisin, moyennant rémunération quotidienne.

La désillusion de la ville

A Fendek Bachir, ce sont surtout les familles venues des environs de Casablanca, plus précisément dans la région du Ourdigha, non loin de Settat ou bien des Doukkalas, près d’El Jadida qui représentent la majeure partie des habitants. La plupart d’entre elles avait été attirée dans la grande métropole par le rêve d’y trouver un travail et de changer un quotidien rendu difficile par les années de sécheresse. Malheureusement, Casablanca n’est pas aussi rose que cela a pu être perçu à travers les récits de personnes de retour au village. Car, généralement, les candidats à l’exode rural ne trouvent pas les emplois qu’ils croyaient pouvoir dénicher facilement. Alors, les pères de famille les plus chanceux exercent un petit métier qui ne permet pas de nourrir toute la famille, comme celui de vendeur d’eau ou de cigarettes au coin d’une rue. Les moins chanceux restent à la « maison », c’est-à-dire dans une baraque ou une chambre louée. Les mères de famille, quant à elles, doivent chercher à travailler comme femmes de ménage, sans avoir la garantie de se voir confier une tâche chaque jour. Donc, la seule alternative reste la mendicité. Or, dès qu’on s’enrôle dans cet univers, on se rend aussitôt compte que les chances de gain sont nettement plus intéressantes que dans un travail normal. Dès lors, on multiplie les stratagèmes pour gagner encore et encore plus d’argent. Les bonnes veilles méthodes consistant à brandir une ordonnance ou un acte de décès du mari ne font plus recette. Mais avec un enfant dans les bras ou qui fait lui-même la manche, on devient nettement plus crédible. Qu’à cela ne tienne, on exhibera un enfant. Et si on n’en a pas, on en louera !

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Sources : Reporter

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Publié dans La vie du site

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