Les "psys" peu convaincus des vertus de la télévision pour bébés

Publié le par Catherine Vincent

Les "psys" peu convaincus des vertus de la télévision pour bébés
LE MONDE | 10.01.06 | 14h38  •  Mis à jour le 10.01.06 | 14h38
 
A tous ceux qui s'inquiètent de voir les enfants passer trop de temps devant la télévision, les résultats annuels que Médiamétrie a rendus publics le 2 janvier sembleront un moindre mal. Si, en moyenne, les Français ont passé chaque jour deux minutes de plus devant leur poste qu'en 2004 (trois heures vingt-six minutes au total), les 4-14 ans, en effet, lui ont consacré deux minutes de moins (deux heures onze au lieu de deux heures treize).

Faut-il pour autant mettre les tout-petits devant la télévision ? A en croire les promoteurs des programmes qui leur sont proposés, ceux-ci ont des effets bénéfiques sur leur développement. Pour de nombreux spécialistes de la petite enfance, ils augmenteraient au contraire leurs troubles de l'attention, tout en contribuant à les désocialiser...

Quoi qu'il en soit, alors que trois chaînes thématiques destinées aux petits s'étaient déjà ajoutées, ces dernières années, aux plages de programmes pour enfants des chaînes hertziennes (Tiji pour les moins de 7 ans, Playhouse Disney pour les 2 à 5 ans, Piwi pour les 2-6 ans), un pas de plus a été franchi en octobre 2005 avec la chaîne d'éveil Baby TV (TPS, canal 59), qui s'adresse aux petits de 0 à 3 ans. Des téléspectateurs au berceau auxquels cette chaîne propose des programmes courts (de deux à dix minutes) en continu.

EFFETS HYPNOTIQUES

Comptines, chansonnettes, apprentissage des formes et des couleurs, animations en 3D et musique douce : considérant que les tout-petits sont, de toute façon, cernés par la télévision, les ordinateurs et les jeux vidéo, les créateurs de Baby TV ont opté pour une chaîne sur mesure. Lancée à la Noël 2003 en Israël, elle y connaît un tel succès (70 000 foyers abonnés) que TPS a décidé de diffuser le même programme en langue française. Non sans rappeler aux parents quelques précautions de bon sens : ne pas abandonner bébé devant le poste mais, au contraire, l'accompagner avec des commentaires, choisir un autre moment pour lui donner le biberon, ne pas le laisser devant l'écran plus de quinze minutes d'affilée... Un guide du bon emploi du petit écran qui est loin de convaincre tous les psys.

Peut-on vraiment croire, soulignent ces derniers, que les parents regarderont majoritairement les programmes avec leur bébé, plutôt que de profiter de ses effets hypnotiques pour vaquer à leurs occupations ? "Il y a, d'une part, un usage auquel les parents sont invités et, d'autre part, des recommandations qui évidemment ne seront pas suivies", commente Serge Tisseron, psychanalyste expert en images. Il souligne en outre la contradiction qui veut qu'on déconseille de mettre le bébé devant le poste la nuit... tout en diffusant les programmes vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Utilisé à bon escient, un tel programme devient quasiment "un outil pédagogique au même titre qu'un imagier", initiant les tout-petits à la télévision et les ouvrant sur le monde, estime pourtant la psychologue et psychanalyste Claude Boukobza, conseillère de la chaîne en France. "Au mieux, une chaîne pour les petits n'aura pas d'impact sur eux, au pire elle aura des effets négatifs", rétorque Stéphane Clerget. Pour ce pédopsychiatre, le temps passé devant le petit écran est d'autant plus préjudiciable aux enfants que ceux-ci sont petits.

"Néfaste au développement de leur imaginaire et à leurs capacités d'attention, créatrice par les émotions qu'elle génère d'une excitation permanente (qui se manifeste au moment où l'on éteint le poste), cette activité présente par ailleurs l'inconvénient d'être totalement passive, énumère-t-il. Or, au-dessous de 3 ans, un enfant a besoin pour se développer harmonieusement d'un environnement interactif, dans lequel engager sa motricité." Mieux vaut, selon M. Clerget, jouer sur l'ordinateur, surtout si cette activité est prétexte à une initiation par un adulte ou un aîné.

Dernier risque avancé par les pédopsychiatres face à la multiplication de ces chaînes thématiques : faire de nos futurs grands des accros absolus du petit écran. "L'argument selon lequel on offre aux petits des programmes spécialement conçus pour eux me semble assez pervers. Cela ne fait que leur rendre la drogue encore meilleure", souligne Stéphane Clerget, pour qui il existe un "visionnage passif" comme un tabagisme passif.

Si l'on ne dispose pas, en France, de mesure d'audience pour les moins de 4 ans, TPS affirme que 43 % des Américains de moins de 2 ans restent en moyenne une heure vingt-deux devant le petit écran, face à des programmes qui ne leur sont pas destinés. Une chaîne comme Baby TV, dont la diffusion pourrait atteindre prochainement les Etats-Unis, augmentera-t-elle encore ce temps ?

Catherine Vincent

Article paru dans l'édition du 11.01.06
 
 
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