La Résilence : ne pas reproduire les démons du passé

Publié le par Khalamity

    

Ceux qui surmontent un traumatisme éprouvent souvent une impression de sursis qui démultiplie le goût du bonheur et le plaisir de vivre ce qui reste encore possible. Olga a subi une blessure physique et psychique grave à l'âge de 18 ans. Elle a tout juste commencé de vivre que déjà il lui faut apprendre une autre manière d'être au monde. En puisant dans ses ressources intellectuelles et physiques, elle a utilisé ce que son entourage lui proposait afin de devenir une autre. L'homme qu'elle a épousé a conjugué sa manière d'aimer avec cette femme particulière. Et l'enfant qui naîtra de cette union devra s'attacher à ces parents singuliers dont il recevra un héritage psychique hors du commun. Dans cet essai vibrant sur le bonheur, Boris Cyrulnik démontre que même ceux qui ont de graves blessures affectives peuvent les transformer en grand bonheur. Il veut montrer comment on s'engage dans le couple avec son histoire et son style affectif, ses blessures et ses victoires. Et comment on transmet aux enfants une énigme qui invite à l'étrangeté et à la créativité.

Biographie de l'auteur
Boris Cyrulnik est directeur d'enseignement de " la clinique de l'attachement " à l'université de Toulon. Il est président de l'Observatoire international de la résilience. 1l a publié, aux éditions Odile Jacob, Les Nourritures affectives, L'Ensorcellement du monde, Un merveilleux malheur, Les Vilains Petits Canards et Le Murmure des, fantômes, qui ont tous été de grands succès

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EXTRAIT :

PARLER D'AMOUR AU BORD DU GOUFFRE

 

Gouvernés par l'image qu'on se fait de nous-même

 

L'enfant a appris, au cours des interactions quotidiennes, à répondre à l'idée qu'il se fait de " lui avec les autres ". Tout être vivant réagit inévitablement à des perceptions, mais un petit humain, dès le sixième mois, répond aussi à la représentation de " lui avec les autres " qui s'est construite en s'imprégnant dans sa mémoire. Un nouveau-né ne peut survivre que s'il dispose autour de lui de figures d'attachement. Seul, il n'a aucune chance de se développer. Dans le déroulement spontané des faits biologiques, la figure d'attachement est presque toujours la mère qui l'a porté. Mais toute personne qui veut bien s'occuper du nourrisson, une autre femme, un homme ou une institution, assume cette fonction de figure d'attachement composée d'images, de sensorialités et d'actes adressés au nouveau-né. De gestes en gestes, ce réel sensoriel s'imprègne dans la mémoire du petit et lui apprend à attendre certains comportements qui viendront de ces figures d'attachement. Une mère rendue malheureuse par son histoire, son mari ou son contexte social, émettra une sensorialité de femme déprimée : visage peu expressif, absence de jeux corporels, regards détournés, verbalité morne. Dans un tel bain sensoriel qui traduit le monde mental de la mère, le bébé apprend à réagir par des comportements de retrait. Dès la fin de la première année, il lui suffit de percevoir cette figure d'attachement malheureuse pour qu'il attende des interactions de mère triste. Le bébé ne réagit pas seulement à ce qu'il perçoit, il répond à ce qu'il guette, il anticipe ce qu'il a appris.
Dès la troisième année, le petit, arrivant à l'âge de l'empathie, devient capable de répondre aux représentations qu'il se fait des représentations du monde mental de sa mère, de ses motivations, de ses intentions et même de ses croyances : " Elle va encore croire que c'est moi qui ai mangé le chocolat, alors que c'est mon frère. " Un bébé qui se développe dans un monde glacé s'attend à ce que les autres lui apportent la glace. Il pense presque : " Toute relation affective provoque le froid. " À l'inverse, un enfant qui se sent aimé se croit aimable puisqu'il a été aimé. Cette empreinte dans sa mémoire, à l'occasion de la banalité des gestes de la survie, a donné à l'enfant une représentation de soi confiante et aimable, à laquelle il répond quand il entre en relation.
Cet apprentissage donne un style affectif durable qui s'exprime encore lors des premières rencontres amoureuses : " Quand je pense à qui je suis, je m'attends à ce qu'elle me méprise. " Le jeune peut aussi penser : " Quand je pense à qui je suis, je crois qu'elle va m'accepter. " Cette représentation de " moi avec un autre " est une co-construction qui dépend des rencontres mais peut évoluer, comme tout phénomène de mémoire, vers l'effacement, le renforcement ou la métamorphose.

 

Boris Cyrulnik
Parler d'amour au bord du gouffre
(extrait p.110 à 112)

Pour Approfondir

Quelqu'un qui a subi un traumatisme (camp de concentration, maltraitance, inceste, viol, famille pas comme les autres, regard des "normaux" sur la différence) est-il un vilain petit canard pour toujours, mort, n'en finissant pas son agonie psychique, souffrant en silence de son escarre psychique? Non, dit Boris Cyrulnik, si l'environnement, familial, culturel, amoureux, permet un travail de résilience c'est-à-dire de réparation, de reconstruction, de cicatrisation, en offrant dans la rencontre un tuteur de résilience. En somme, le tuteur de résilience, parfois à son insu, offre de l'amour à ceux qui sont au bord du gouffre. Le regard qui voit quelqu'un d'autre qu'un traumatisé à vie réduit au silence par la culpabilité, le clivage défensif, permet alors au traumatisé de commencer à parler de ce qui était impossible jusque-là, de remettre sur le métier un pan entier de son existence laissé dans l'ombre, comme mort, comme couvert d'escarres douloureuses, de recommencer à intégrer ça dans son activité psychique jusqu'à pouvoir devenir fier de ce dont il avait honte. Jusqu'à pouvoir donner un sens au traumatisme, par le récit, en trouvant le moyen de le raconter à l'autre, de le représenter, en le remaniant grâce au nouveau contexte.

D'où l'importance de cet environnement pour l'être humain, dont la structure psychique n'est jamais immobile, mais en constante transformation au gré des rencontres et dans le contexte culturel où il vit, où le regard de l'autre peut être terrible ou peut faire ressusciter. Les traumatisés de la vie ont développé une hypersensibilité à l'autre et à l'environnement, et savent au quart de tour si ça leur parle d'amour ou si ça leur parle style thénardier à Cosette. Lire la suite...

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